Parachromis : ces poissons d’aquarium qui menacent la biodiversité des tropiques

Parachromis : ces poissons d’aquarium qui menacent la biodiversité des tropiques

Par Benoit CHARTRER, publié le 21/02/2021 

Originaires d’Amérique centrale, les Parachromis sont devenus progressivement des envahisseurs de renom.
En 2021, De la Floride à Java, en passant par l’Australie et le Brésil, les scientifiques s’alarment sur l’expansion de ces poissons en régions tropicales.
La diffusion de poissons exotiques par l’Homme ne date pas d’hier.
Déjà pendant l’antiquité, les carpes sont passées de bassin en bassin jusqu’à atteindre les cours d’eau français.
Généralement, ces diffusions proviennent de l’aquaculture et de la pêche sportive.
Parmi les poissons plus connus, on connait bien le black bass, la perche soleil ou encore le tilapia du Nil.

CARPE © C. Bossé
BLACK BASS © I. Szabo
PERCHE SOLEIL © D. Florian
 

La mondialisation a accentué la densification des échanges et décuplé le phénomène.

Le secteur aquariophile n’est pas épargné.

Comme la plupart des poissons d’ornement proviennent des régions tropicales, c’est dans ces régions que les risques sont élevés.

À chaque environnement ces animaux à fort potentiel invasif.

Dans les lacs tropicaux du Nicaragua, la palme revient aux vivipares et à des cichlidés piscivores : les Parachromis.

Parachromis : Des gloutons prolifiques

Fin des années 80, leurs belles couleurs et leur caractère ténébreux séduisent les aquariophiles.

Partout dans le monde, des passionnés entreprennent la réalisation d’un lit douillet pour les accueillir.

Problème : Les Parachromis ne sont pas des petits poissons d’aquarium colorés qui amusent les enfants.

Les petits poissons colorés, ils les gobent d’un coup sec avec leurs larges mâchoires.

Parachromis Managuensis © R. Allgayer
Parachromis Dovii © Kevin Dickinson
Parachromis Loisellei © J. Dubosc
Parachromis Motaguensis © R. Allgayer
 

Les Parachromis ont tout pour plaire même aux plus novices : ils sont résistants, faciles à reproduire et s’adaptent à tout type de nourriture. Les clés de leur succès sont les mêmes que celles du danger qu’ils représentent.

D’une part, ces cichlidés territoriaux sont des prédateurs voraces qui concurrencent rapidement les espèces autochtones sur la prédation.

D’autre part, parmi les cinq espèces décrites, au moins deux peuvent s’adapter à n’importe quel milieu.

Mieux encore. Comme tous les cichlidés, les Parachromis sont des géniteurs d’exception. Pour se reproduire, ils forment des couples soudés et protecteurs.

La femelle dépose des milliers d’œufs dans une sorte de nid. Les parents défendront hardiment la zone et les jeunes alevins.

De fait, dans les zones envahies, très rares sont les prédateurs potentiels de ces individus teigneux qui arrivent à dépasser les cinquante centimètres.

Médaille d’or au cichlidé du Managua

Natif du Nicaragua, du Honduras et du nord du Costa Rica, le cichlidé du managua (P. managuensis) partage des motifs proches du jaguar, également présent dans ces régions.

Mesurant une cinquantaine de centimètres à l’âge adulte, il devient vite l’un des poissons centraméricains en vogue auprès des aquariophiles.

Dans la région, avant d’être un poisson d’ornement, c’est avant tout une espèce prisée des pêcheurs sportifs.

Il commence tout naturellement son expansion via l’aquaculture et les empoissonnements çà et là dans les pays limitrophes.

Fin du XIXe siècle, il arrive par ces procédés au Guatemala et au Bélize.

Quelques années plus tard, il apparaît au Mexique où il fait ces premiers ravages sur les espèces autochtones.

Vingt ans plus tard, il est présent dans tous les pays d’Amérique centrale.

Pêcheurs et aquariophiles américains se sont passés le mot. Il fait son apparition dans le commerce et on se partage des jeunes entre passionnés.

Chaque ponte donne lieu a des milliers de jeunes qui survivent en captivité.

Les aquariums deviennent trop petits et quelques aquariophiles mal informés finissent intentionnellement ou non par les relâcher dans la nature.

Des populations apparaissent dans les rivières de Californie, puis en Floride, à Hawaï, en Arizona…

Pendant les décennies suivantes, l’invasion se poursuit dans les Amériques mais les eaux trop froides d’Europe sont épargnées.

Cichlidé du Managua capturé par un héron, Everglades, USA © K.C. SCHNEIDER

Début des années 2000, l’espèce connait un nouvel essor. Le poisson apparait dans les commerces d’Amérique du Sud et d’Asie.

Il arrive d’abord aux Philippines, puis à la Réunion et au Brésil dans les environs de Rio.

Sans prendre garde, les îles des Caraïbes sont touchées à leur tour. On ignore encore aujourd’hui sur combien d’entre elles le poisson est présent.

Et ça continue. En 2013, il apparaît à Java et en Chine, puis à l’île Maurice, à Singapour, en Australie et en Malaisie.

Cichlidé du Managua pêché en Floride

Après être devenu officiellement nuisible aux États-Unis d’Amérique, en Australie et au Mexique, les scientifiques lancent l’alerte en Indonésie et au Brésil.

Quand un animal participe à la disparition de dizaines d’autres

Tapez le terme « cichlidé du Managua » sur les moteurs de recherche, vous trouverez des centaines de sites qui traitent de sa maintenance et de son élevage.

Mais vous ne verrez que très peu d’information sur les risques représentés pour la biodiversité.

On répand dans le commerce un poisson d’ornement qui, dans le même temps, peuvent aisément participer à l’anéantissement de poissons autochtones…

Parfois eux-mêmes adulés des passionnés.

De fait, en l’absence de comportements responsables de la part de tous, sans le moindre compromis, il existe peu de solution avec les animaux à risque si on souhaite préserver la biodiversité.

Car malheureusement, une fois établies, ces espèces sont impossibles à éradiquer.

« Aujourd’hui, d’après l’IUCN, parmi les 3 000 poissons officiellement menacés, plus de 1 000 risquent la disparition à cause d’un envahisseur. »

Pendant longtemps, nous n’avons remarqué que les conséquences de l’arrivée d’un envahisseur.

Comme la raréfaction d’une espèce ou la détérioration d’un écosystème. Aujourd’hui, d’après l’IUCN, parmi les 3 000 poissons officiellement menacés, plus de 1 000 risquent la disparition à cause d’un envahisseur.

Certains pays ont choisi la mise en place de législations strictes, comme l’Australie qui a été historiquement durement touchée par des invasions successives.

Ce qui a motivé cette législation ?

La prolifération dans les écosystèmes locaux de poissons d’aquarium relâchés dans la nature. Platys, xiphos, tilapias, Cichla… et notre cichlidé jaguar.

XIPHO © J. Picard
CICHLA © E. Ritcher
 

Concernant les Parachromis, combien d’espèces vont devoir disparaître pour qu’une solution globale soit envisagée ?

En passant par le canal de Panama, les poissons se diversifient

Les bateaux ne sont pas les seuls à avoir profité du raccourci du canal de Panama. Une étude à paraître dans les Proceedings of the Royal Society of London montre que plusieurs poissons ont bénéficié de l’ouverture entre l’océan Pacifique et la mer des Caraïbes.

Des espèces autrefois isolées se sont croisées et ont enrichi leur diversité génétique, de chaque côté de la langue de terre.

Conséquence : des chercheurs canadiens ont noté une augmentation de 28 % du nombre d’espèces dans le Rio Grande (sur le versant du Pacifique) et de 11 % dans le Rio Chagres (côté Atlantique).

«L’intrusion d’une espèce nouvelle n’est pas forcément synonyme de perte d’espèce. Notre étude prouve que les populations résidantes peuvent parfois bénéficier d’invasions d’espèces étrangères», explique Scott Smith, de l’université McGill à Montréal. Mais cet exemple est insignifiant à l’échelle planétaire.

«On sait qu’en moyenne seulement une espèce introduite sur dix pose des problèmes écologiques ou économiques.

C’est ce qu’on appelle la roulette écologique. Le fait que cinq à sept espèces introduites via le canal de Panama ne semblent pas (pour le moment) poser de problèmes n’est peut-être pas significatif.»

Pour Charles-François Boudouresque, de l’université d’Aix-Marseille-II, l’étude montre un cas d’invasion biologique modeste et anecdotique.

D’une part, rares sont les poissons qui ont réussi à traverser ce canal ponctué d’écluses.

Et, d’autre part, «la séparation géologique des faunes des versants atlantique et pacifique de l’isthme est relativement récente : seulement trois millions d’années. Donc les espèces de part et d’autre n’ont pas eu le temps d’évoluer de manière très différente». Un cas trop particulier pour être représentatif de ce qui se passe ailleurs.

Et ailleurs, c’est par exemple entre la mer Rouge et la Méditerranée, via le canal de Suez.

Là, ce sont plusieurs centaines d’espèces qui ont fait le voyage et ces flux migratoires ne sont pas passés inaperçus.

«Ces invasions massives ont considérablement modifié ce qui faisait l’originalité de la Méditerranée orientale», poursuit le spécialiste.

Ainsi la grosse crevette indo-pacifique est-elle en train d’éliminer la crevette méditerranéenne.

Les introductions d’espèces sont souvent considérées comme la deuxième cause d’appauvrissement de la biodiversité, après la destruction des habitats.

«Les invasions biologiques nous conduisent vers une uniformisation planétaire, s’inquiète Charles-François Boudouresque.

A terme, on risque de trouver les mêmes espèces partout dans le monde.»

L’enrichissement de la biodiversité de part et d’autre de l’isthme de Panama pourrait s’arrêter là : en 1967, un grand prédateur de la famille des cichlidés a été introduit dans le lac artificiel de Gatun, construit à mi-chemin sur le canal.

Cet énorme poisson, pouvant peser de 8 à 10 kilos, pourrait calmer les ardeurs des poissons voyageurs…

 

RUPTURE D’EQUILIBRE

Dans les années 1950, la perche du Nil a été introduite dans les eaux du lac Victoria, la 2e plus grande réserve d’eau douce sur Terre.

Ce lac présentait la particularité d’abriter une quantité considérable d’espèces indigènes, principalement plusieurs centaines d’espèces de chilider, fruit d’une diversification explosive depuis la re-création du lac il y a 12000 ans jusqu’à l’introduction de la perche du Nil.

La perche s’est remarquablement adaptée à cet environnement, au détriment des espèces locales.

Alors qu’en 1977, les prises de cichlidés représentent encore 32 % du tonnage pêché et celles des perches du Nil 1 %, 6 ans plus tard les prises comportaient 68 % de perches du Nil pour 1 % de cichlidés.

Lgroupe de spécialistes des espèces de l’IUCN inclut le Lates niloticus parmi les pires cent espèces invasives du monde.

Cependant, malgré la disparition d’un grand nombre d’espèces de cichlidés, les tonnages décollent : 1000 t en 1978, 100 000 t en 1993 pour le seul Kenya

La Tanzanie exporte désormais la perche du Nil en direction de l’Union Européenne comme sa principale rentrée de devises : 500 tonnes de filets sont envoyées quotidiennement de l’aéroport de Mwanza, sur le lac Victoria.

Un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, publié en 1987, conclut que “la présence de la perche du Nil dans les pêcheries du lac Victoria” constitue “un developpement extrêmement positif du point de vue du bien-être humain”

Sources

A propos de l’auteur

Benoit Chartrer fait partie des membres du projet Fishipédia. Sorti d’une formation d’ingénieur en physique, il a progressivement changé de spécialisation en se tournant vers les technologies Web. Passionné de voyage et de biologie, il tient également un compte Instagram dédié à la photographie animalière.

 

 

Laisser un commentaire